Deux jours de pause

Publié le 10 mai 2023 à 21:34

Deux jours de break. Une organisation de fou pour obtenir deux jours pour dormir, être seule depuis la naissance d'Angelo. Regarder le vent bercer les arbres, m’allonger dans l’herbe folle et sentir, sentir mon corps douloureux, sentir mon coeur qui pleure, mon âme perdue, sentir le parfum des fleurs et les brindilles me chatouiller, contempler le magnifique faucon planer dans les airs. Juste être là avec ce qui est et me donner tout l’amour que je peux.

 

Evidemment, ma tête est remplie d’Angelo. Evidemment, jamais je ne retrouverai la Delphine d’avant. Alors je me mets en lien avec celle d’aujourd’hui. Je ne sais pas comment m’aider, à part être douce avec moi-même et accueillir ce que je ressens. J’ai le droit d’être stressée, d’être anéantie, d’être au bout du rouleau. Je réalise que je vis ce que je redoutais le plus : la maladie et le handicap de mon fils. Pendant dix ans, je n'ai pas voulu d’enfant. Déjà parce que je savais ce que ça demandais au quotidien et parce que je n’étais pas prête à perdre ma liberté que j’avais déjà du mal à trouver en moi-même et dans ma vie. Ensuite, parce qu'avec mon hypersensibilité, je me disais que je ne supporterai pas, je ne survivrai pas s’il arrivait quelque chose à mon enfant, comme la maladie, un accident, un handicap, sa mort. Des années où rien que d’imaginer cela me faisait pleurer toutes les larmes de mon corps. Et pour ne pas vivre la douleur la plus difficile à mes yeux, pour ne pas perdre ma liberté, je refusais d’avoir un enfant.

 

J’ai fait des années de thérapie pour déposer mes bagages du passé, pour soigner mes traumas. pour trouver ma liberté intérieure, pour arriver à trouver ma place dans ce monde, pour arriver à gagner de l’argent et trouver mon autonomie, pour me sentir assez forte pour accueillir un enfant. Je croyais avoir réussi cela. Je me sentais bien dans ma peau, j'avais enfin trouvé ma place dans ce monde, j'étais enfin heureuse, j'avais soigné beaucoup de mes blessures, j'étais "prête" pour une vie heureuse et épanouie avec Gérald. Et comme Gérald aussi était épanoui dans ce qu'il faisait, bien dans sa peau, je pensais que l’enfant qui arriverait de nous deux serait en pleine santé, plein d’énergie et de vie. Qu’est-ce que nos croyances peuvent être bêtes parfois ! Je m’en rend compte aujourd’hui. Ce n’était pas conscient. Juste cette sensation d’être pleinement à ma place, d’avoir trouvé ma voie, de faire ce qu’il fallait…alors quelque chose en moi se sentait "à l'abri". Pourtant, de nombreux exemples autour de moi me montraient que personne n’est jamais à l’abri d’un grand malheur. Mais je donnais toujours une explication raisonnée à ce malheur. Quelle arrogance !

 J’avais cette arrogance de croire que tout mon être était enfin sur la bonne voie. Ben non ! Un drame bien plus grand m’attendait ! Je crois que la vie m’a rattrapée pour me flanquer une sacrée tarte dans la gueule pour me ramener encore une fois au niveau de mon coeur, de ma vulnérabilité et me relier à tous ces êtres humains dans le monde qui vivent des drames chaque jour. Personne n’y échappe. Personne ! Ce monde est fait de souffrance … d’amour, de joie aussi bien sûr, de beauté, de miracles parfois. Mais la souffrance est partout, nous ne sommes jamais à l’abri.

 

 

Et encore, le drame que je vis aujourd’hui, il n’est rien à côté des drames sillonnants le monde. Ma souffrance est rien à côté de ces femmes, au Congo, qui m'ont bercées quand j’étais bébé et qui ont vu leur propre bébé se faire découper à la machette peu de temps après que nous soyons partis de ce pays et qui ont été violées dans la plus grande cruauté. Ma souffrance n’est rien à côté de tous ces gens qui vivent des guerres abominables et qui perdent tout : leur famille, leur maison, leur dignité, leur pays, leur joie à jamais. Ma souffrance n’est rien à côté de ce Papa qui a écrasé son fils en reculant son tracteur. Ma souffrance n’est rien à côté de cette petite fille qui a vu son Papa tuer sa Maman. Ma souffrance n’est rien à côté de ma cousine adoptée juste avant les massacres au Rwanda mais n’a pas réussi à survivre à la culpabilité d’avoir « laissé » sa soeur là-bas. Ma souffrance n’est rien à côté de tous ces hommes, ces femmes, ces enfants qui se battent pour survivre dans les bidonvilles de Calcultta.

 

A côté d’eux, ma souffrance est bien petite. De mon point de vu, elle est énorme mais à bien y regarder, il y a tant de lumière aussi dans ce que je vis. Il me faut accueillir le douloureux tout en regardant ce qui est beau et bon. Me réjouir à fond de toute cette lumière qui inonde mon quotidien même au milieu de la douleur, même au milieu du stress.

Nous avons la chance d’avoir une maison et une terre à nous, un havre de paix, avec des arbres majestueux juste devant nos fenêtres, des fleurs plein le jardin, des poules qui nous donnent des oeufs délicieux, des aides financières de l’état, un système soignant certes en crise mais où des hommes et des femmes sont si dévoués qu’ils en sauvent notre fils malgré leurs conditions de travail déplorables, malgré nos résistances, nos colères, nos incompréhensions. Nous avons la chance d’avoir de la famille, des amis, des aidants qui nous soutiennent, c’est de l’amour en bloc qui nous ait offert. Nous avons une chance inouïe qu’Angelo soit adorable, d’une douceur incroyable, qu’il arrive malgré les tonnes de difficultés, de troubles, de défaillances, à se tenir assis, à jouer, à chanter, à nous regarder, à sourire… qu’il soit si beau, si attendrissant….nos coeurs craquent d’amour chaque jour grâce à lui ! 

 

Au milieu de la dureté de la situation, de tout ce que nous devons gérer au quotidien, au milieu du marathon de sa prise en charge médicale, de la tonne de stress, de deuils, il y a ces espaces de joie, ces espaces de douceur, de regards échangés, de bisous de nez, de fronts contre fronts pour se dire qu’on s’aime, il y a ces instants où l’on entend Angelo émettre des nouveaux sons, il y a ces instants où il regarde la pluie tomber et sembler vouloir lui parler…à nous en faire pleurer de ravissement. Il y a ces instants où l’on voit Angelo expérimenter des nouveaux gestes, taper sur son petit tambour pour la première fois, se retourner pour m’écouter jouer du piano et à la fin du morceau s’exclamer de joie. Ces instants où il gratouille la barbe de son papa ou alors éclate de rire en gratouillant le tapis. Il y a ces instants où il s'endort dans mes bras et où je sens son corps abandonné contre mon coeur, où on le voit s’agiter de joie de nous voir arriver pour le lever de son lit. J'ai envie que mon regard se focalise sur tous ces moments de bonheur. Mon coeur est tellement à "fleur de peau » qu’un rien de joie le fait exploser …. un mélange de bonheur et de douleur. Mais les difficultés, les stress nous rattrapent bien trop souvent. C’est un effort de tous les jours d’ouvrir les yeux plus souvent sur ce qui est merveilleux dans l’instant, c’est un entraînement. Et c’est aussi très en lien avec notre forme. Lorsqu’on est fatigué, difficile d’avoir un esprit positif. Alors le repos, c’est le premier objectif. Le ressourcement, avoir de l’espace pour s’aérer, décompresser, s’occuper de soi, c’est le deuxième objectif. Et ainsi, le troisième objectif peut être mis en oeuvre : celui de regarder la situation sous un angle positif et se régaler, se remplir le coeur de tous les petits progrès, des étincelles de joie, de toutes ces miettes de beauté semées au quotidien.

 

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