
Ce soir, je suis seule à la maison. Je viens de jouer du piano. Des semaines que je n’avais pas réussi à jouer. Par manque de temps, par manque d’énergie, par fuite. Fuite des larmes que ça me fait verser. Car dès que je joue, je deviens un torrent. Sans barrages.
Ce soir, j’ai pris mon courage à deux mains et j’ai joué. Les seuls morceaux que mes mains se souviennent, ils sont peu nombreux et datent d’avant la naissance d’Angelo. Depuis, je n’ai rien appris de nouveau et je répète les mêmes, je m’accrochent à eux, pour ne pas les oublier, pour ne pas oublier ma vie d’avant, pour ne pas oublier mon rêve d'enfance, pour ne pas oublier tous les rêves que j’avais pour Angelo, pour ne pas oublier ce morceau que j’ai créé lorsqu’il grandissait dans mon ventre, pour ne pas oublier la beauté, la poésie, la rêverie !
Mais la vérité, c’est que je n’ai plus l’énergie ni le temps : de jouer du piano, de peindre, de danser, de rêver. Ce soir, j’en ai du temps. Non pas parce que je suis en vacances. Oh non ! Que j’aimerais ! Non, parce qu’Angelo est à nouveau à l’hôpital et que ce soir, c’est au tour de Gérald de veiller sur lui et de l’accompagner dans les tourments de l’hospitalisation. Alors comme qu’un seul des deux parents peut rester auprès de lui, nous alternons et nous rentrons à la maison pour nous reposer, pour préparer à manger pour l’autre, pour laver les fringues d’Angelo pleins de vomis, pour décompresser, pour s'occuper des animaux, pour tenir. Ça fait un bien fou de faire des nuits de 12h alors qu'à l'hôpital nous dormons à tout casser 3h en pointillé, de manger tranquillement sans stress, de flâner dans le jardin, d’allumer des bougies, de respirer l’air, de lâcher toute vigilance, tout stress le temps de quelques heures. Mais qu’est-ce que ça fait mal en même temps de savoir Angelo et Gérald là-bas, à 45min de chez nous, à souffrir, à subir des examens et soins douloureux, contraignants à n’en plus finir, à souffrir des conséquences de sa maladie.
Alors j’ai essayé de jouer du piano ce soir…pour voir où j’en étais. Eh bien, je prends conscience, comme un fouet en pleine gueule, encore et encore, de la réalité de ce que je ressens, de la vie d’Angelo, de notre vie, de mes larmes qui ne cessent de couler intérieurement, des angoisses phénoménales qui m’habitent pour la vie d’Angelo, pour la mienne, pour la nôtre. La réalité, c’est que la maladie, ça bousille tout, ça assomme tout, ça te mets face à tant de questions sans réponses : « putain, qu’est ce qu’on fou là bordel de merde ? A quoi ça rime tout ça ? C’est tellement injuste ! Pourquoi lui, ce petit être si lumineux, si tendre ? A quoi ça sert de vivre ? On n’a pas le droit d’être heureux ou quoi ? »
On peut bien essayer de s’en donner des réponses. Beaucoup de monde essayent de nous en donner, essayent d’apaiser notre douleur comme ils peuvent. Mais quand on vit ce genre d’épreuve, il n’y a pas de réponses et la douleur ne peut pas être apaisée. Et il faut faire avec. C’est comme ça. C’est la vie à l’état pure, à l’état la plus crue.
Ça ne m’empêche pas de prier, de hurler à l’univers entier à l’aide, d’envoyer des SOS dans tous les sens. Non, ça ne m’empêche pas de prier. En fait, je prie sans cesse. J’ai déjà beaucoup prié dans ma vie. Certaines périodes, énormément. Mais là, j’y pense sans arrêt, j’agis tout en ayant toujours dans un coin de mon coeur une prière pour Angelo, pour nous, pour les enfants du monde et leurs parents. Je n’arrête jamais. Comme un mantra que je récite sans cesse. Mais à force, je ne sais plus qui prier, quoi prier, je ne sais plus quoi demander. Je demande tout et son contraire. Je demande à tous les êtres de l’univers et à personne à la fois. Parfois, je m’accroche à mes vieilles prières d'enfant et de jeune adulte envers mon maître bouddhiste..ces prières qui m’ont aidé à tenir et à avancer à certaines périodes difficiles de ma vie.
Parfois, juste, je me vois étalée au sol, vaincue, à m’en remettre au ciel et à dire : que la vie soit ce qu’elle doit être … et c’est tout ! Car je n’y comprends rien. Car je me sens tellement petite. Car même si je le savais déjà avant par mon vécu, la vie vient me confirmer encore et encore que tout est tellement fragile et que d’une minute à l’autre, le plus grand drame peut arriver.
J’avais tendance parfois à l’oublier quand ça allait bien, me croyant à l’abri, me croyant avoir tout compris, quelle arrogance ! Comme si le bonheur et/ou la réussite, ça peut vite nous faire croire qu’on est meilleur que les autres, qu’on assure plus, qu’on est sur le bon chemin etc. OUi, c’est tellement fragile, même si on a été la plus adorable et généreuse personne du monde. Même si on a fait un gros travail thérapeutique et/ou spirituel et qu’on est soi-disant « guéri », "aligné", "sur le bon chemin", "purifié". Même si on a été un peu arrogant comme tout le monde finalement.
En réalité, il n’y a aucune justice, personne ne mérite une telle souffrance et pourtant. Beaucoup vivent des drames, de dures épreuves dans le monde. Pas à dire ! J’étais la première à croire quelque part en moi que j’y échapperai. Comme on dit, on croit toujours que ça n’arrive qu’aux autres. C’est vrai que l’on croit ça. Jusqu’au jour où ça arrive. Et en plus, pas sûr que ça en finisse là. Certains enchaînent les drames, les épreuves, alors pourquoi pas moi ? Et non, ces gens là n’ont pas commis plus d’erreurs que les autres dans le passé, n’ont pas fait plus de mal que d’autres. Et non, ce n’est pas une purification d’un karma. Ou peut-être que si mais après tout, personne n’en sait rien et on s'en fout. Et non ce n’est pas pour nous faire grandir. Non non non ! ça fait horriblement mal, ça ouvre une plaie qui ne se refermera jamais. C’est juste la vie qui se déploie, la réalité de la vie telle qu’elle est, magnifique et terrible à la fois. C’est la seule chose dont on est certain.
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