Des anges en enfer

Publié le 21 octobre 2021 à 16:34

On a passé trois semaines en néonatalogie. Trois semaines qui m’ont anéanties, qui ont tué ma confiance en moi, en mon petit boy, en ma force, en la sienne, en la force de la vie. Qui ont rendu très difficile d’entrer en relation avec Angelo et de créer un lien fort et intime avec lui. Trois semaines où j’ai ressenti du rejet pour ce petit être qui n’arrivait pas à se nourrir. Je me demandais tous les jours s’il voulait vraiment vivre, s’il arriverait à vivre. A la fois je voulais lui faire entièrement confiance et je l’aimais déjà plus que tout au monde. Plus les jours avançaient, plus je perdais confiance en moi, en lui.

 

On m’avait répété pendant 3 semaines qu’Angelo était incapable, que son menton et son palais étaient malformés, qu’il ne savait pas téter, que sa succion était très mauvaise, une trentaine de personnes avaient mis le doigt dans sa bouche pour tester sa succion sans même lui dire bonjour, s’étaient acharnés sur mes seins et sur lui, des pédiatres l’avaient auscultés et l’avaient fait hurlé et vomir de trop d’examens invasifs.

 

Mon petit boy ne me regardait pas, ne semblait pas là, absent. J’étais dans une état de désoeuvrement le plus total. Mais je craquais…de jour en jour, je craquais de désespoir….il buvait à tout casser 5ml de lait et s’étouffait, vomissait. Il ne pouvait grossir qu’avec cette machine, qu’avec ce tuyau dans le nez qui s’arrachait tout le temps et qu’il fallait réintroduire trop souvent pour le plus grand malheur d’Angelo.

 

Et en même temps, dans ces trois semaines, j’ai vu oeuvrer une équipe de soignantes en néonatalogie. Les puéricultrices étaient au top, à l’écoute, pleines de bonnes intentions, pleines de bons conseils. Elles étaient là pour Angelo, très présentes, faisaient du mieux qu’elles pouvaient pour s’occuper de lui et elles nous accompagnaient à chaque tétée. Elles se mettaient à notre disposition dès que nécessaire.

 

Et il y avait les médecins, aussi voulant faire du mieux qu’ils pouvaient mais qui, trop souvent, étaient trop imbibés d’orgueil, ne nous écoutaient absolument pas, ne nous expliquaient absolument rien si nous ne trouvions pas les bonnes questions à leur poser, n'avaient que 2 minutes à nous accorder à chaque fois. Ils étaient enfermés dans des protocoles trop rigides, usaient en trop grande quantité des examens.

Tous les jours un pédiatre différent, qui pensait tout connaître d'Angelo parce qu'il venait de lire son dossier et d'écouter les quelques dires des puéricultrices en réunion. Ils oubliaient trop l'essentiel : protéger l'intimité et l'amour entre une mère et son bébé et considérer le nouveau-né comme un être ressentant des émotions, de la douleur, de la peur etc. On en était bien loin ! Aucun pédiatre ne lui parlait, tous passaient 2 fois par jour pour l’ausculter, qu’il dorme ou pas, sans respect de son rythme, jugeaient et commentaient tout à voix haute : son physique, sa prise de poids, ses incapacités, sa mollesse, son palais déformé, sa lenteur, sa faiblesse, sa succion défaillante etc. Ils augmentaient les quantités de lait, peu importe si ça le faisait vomir ou pas, peu importe si ça coupait sa faim ou pas. Ils voulaient qu'il grossisse et c'est tout.

Ils nous ordonnaient pleins de choses, lui donnaient pleins de médicaments puis les supprimaient le lendemain, pour expérimenter. Ils envoyaient leurs collègues pour regarder le spécimen qu’ils ne comprenaient pas. En 3 semaines, nous avons dû voir une quinzaine de pédiatres différents. Bien trop d’attitudes sans prise en considération de la souffrance morale, psychologique et émotionnelle que cette situation engendraient pour Angelo, pour moi et son papa. En plus de la situation critique et effrayante que c’était, ce genre d’attitudes froides, distantes et orgueilleuses n’ont pas aidé à amoindrir la douleur que je ressentais.

 

Comme ce jour là où j'étais en train de proposer le sein à Angelo avec l'aide d'une puéricultrice et aide-puéricultrice. Elles sont attentive, soutenantes, douces. Gérald est à côté de moi, nous encourage. J'étais au bord des larmes, j'en pouvais plus de ces "échecs" incessants. De voir mon petit bébé galérer à chaque tétée, je me sentais impuissante, avec des seins tellement douloureux. Et à ce moment-là, un homme habillé en blouse bleue est entré dans la chambre sans frapper. Il arrive à toute vitesse et dit immédiatement, sans même dire bonjour : "alors qu'est-ce qu'il a cet Angelo?" d'un ton assuré et limite énervé. Il regarde son poids du jour au tableau. Je lève mes yeux vers lui, essaye d'attraper son regard. Il ne regarde qu'Angelo à mon sein. Je me sens très mal à l'aise. Je lui demande : "vous êtes qui ?". Il me dit "ben je suis le Docteur F.". Ah d'accord, nous ne l'avons jamais vu mais visiblement nous devrions le connaître. Je sens aux attitudes des puéricultrices et aide-puéricultrices que c'est quelqu'un d'important. Puis très rapidement, il demande à ausculter Angelo. Même si je comprends bien que je suis à l'hôpital et qu'ils ont l'habitude de voir des mères allaiter et donc les seins nus...par son manque de tact et de considération, je me sens mal à l'aise avec sa présence. Une intrusion dans mon intimité avec mon bébé.  Je viens de commencer à essayer de lui donner le sein et le voilà qui débarque et je dois enlever Angelo. Il le prend, le pose sur la table d'auscultation et sans même lui adresser un seul mot, le déshabille à toute vitesse, le touche partout, met son doigt dans sa bouche pour tester sa succion, le retourne, le manipule dans tous les sens. Sans lui adresser un seul mot. Angelo hurle bien évidemment. Lui qui était bien au chaud contre maman et qui ne comprend pas ce qui se passe d'un coup. Gérald se met à côté de lui et parle à Angelo, lui explique ce que le médecin fait en même temps qu'il le fait. Je remercie intérieurement Gérald de faire cela. Les choses vont bien trop vite et nous sommes encore trop dépendants d'eux et trop novices en néonat' pour pouvoir réagir à l'attitude de ce pédiatre. Je suis choquée mais en incapacité de dire quoi que ce soit. Hautain, sans prise en compte de ce que nous sommes en train de vivre au moment où il arrive, sans prise en compte de la douleur qui nous habite, sans prise en compte de la sensibilité d'Angelo. Il restera à tout casser 5 minutes en nous expliquant rapidement 2-3 trucs auxquels nous n'y comprenons rien. Ce sont les puéricultrices, qui, une fois partie, font le débriefing avec nous, nous explique que ce Docteur est le plus expérimenté du service. Je comprends mieux leur attitude de soumission face à lui. Lors d'autres passages de ce pédiatre et d'autres qui ont la même attitude, petit à petit, avec Gérald, nous nous positionnons, refusons parfois certaines auscultations non indispensables, certains examens suite à de fâcheux essais infructueux mais fort dommageables pour Angelo. Avec ce Docteur F., Gérald se mettra une fois fort en colère pour le remettre à sa place et défendre l'intérêt d'Angelo. Ce qui par la suite aura des conséquences positives puisqu'il prendre plus le temps de nous expliquer les choses, prendra plus de pincettes avec nous et avec Angelo. 

 

Ce fut certaines puéricultrices et aides-puéricultrices qui ont eu l’humanité de nous écouter, nous encourager, qui ont pris le temps de comprendre ce que ça nous faisait vivre, qui nous ont expliqué les dires des médecins, appris les soins, pris le temps qu'il fallait pour permettre du peau à peau et des moments de câlins avec Angelo. Précieux instants de paix. Ce fut ces femmes dévouées qui ont pris le temps de dorloter Angelo aussi, de lui parler, de l'encourager, de lui demander pardon pour la douleur d'un examen invasif. Ce ne sont pas elles qui ont tout anéantie en moi, c'était la situation dramatique de mon bébé qui n'arrivait pas à se nourrir et le système dans lequel elles oeuvraient, coincées dans des protocoles et surtout, sous les ordres de pédiatres formés uniquement à la réparation de la machine du corps. L'oubli de l'émotionnel, de l'affect, que le bébé est un être sensible, éprouvant la douleur, la peur bien plus que les autres, que la maman est dans une période ultra fragile, ultra sensible, a besoin d'intimité et qu'on lui laisse de la place. Je ne dis pas toute la place mais il y a des manières de faire qui détruisent absolument tout.

 

Ce fut trois semaines en enfer entourée d'anges. 

Des anges en enfer.

 

 

Ajouter un commentaire

Commentaires

Il n'y a pas encore de commentaire.