
« Que la force me soit donnée de supporter ce qui ne peut être changé et le courage de changer ce qui peut l'être mais aussi la sagesse de distinguer l'un de l'autre. » Marc Aurèle
Là sont toutes les difficultés quand on a un enfant qui ne se développe pas normalement.
Vivre l'impuissance, "l’in-changeable" ... c'est insupportable ! Alors qu'est-ce que je fais ? Je me démène à 1000% pour soutenir, stimuler, aider, soigner mon fils, trouver des solutions, des thérapies, des aides pour l'amener au plus loin de ce qu'il pourra. Mais je m'épuise ! Car mon action, en réalité, si je suis honnête avec moi-même, voudrait le guérir et supprimer à tout prix les conséquences de sa maladie et le sentiment d'impuissance qui va avec. Et du coup, j'ai tout le temps cette sensation que ce que je fais n’est jamais suffisant.
Car il y a tellement d'endroits où tous nos efforts ne seront jamais récompensés. Ce n'est pas gratifiant parce qu'on fait peut-être 10 fois plus d'efforts pour 10 fois moins de résultats. Parce que quand on a un enfant avec de gros retards dont des traits autistiques, nous ne recevons pas les retours affectifs, des réponses à nos stimulations, à nos demandes, des regards, des sourires, des élans dont nous aurions tellement besoin pour rebooster nos batteries, nous donner confiance en nos capacités de parents et en la vie. Parce que tout parent a besoin que son enfant manifeste de l'affection, de l'intérêt et réponde à ses demandes.
Avec Angelo, nous ne savons jamais s’il accédera à telle ou telle acquisition ni à quel âge. Alors il faut persévérer sans savoir si nos efforts seront « récompensés » un jour, même s'il est dans sa bulle, même si on ne paraît pas vraiment important pour lui, même si nos stimulations semblent sans intérêt ou inaccessibles pour lui. C'est fatiguant.
C'est questionnant, sans arrêt. Pourquoi il m'imite si peu alors que ça fait 2 ans que je fais les mêmes gestes et mimiques ? Pourquoi il ne parle pas alors que je passe mon temps à lui parler, à lui chanter des chansons ? Pourquoi il n'arrive pas à faire ceci ou cela alors que c'est si simple pour un bébé de 8 mois (il a 2 ans et demi) ? Pourquoi il évite tellement notre regard ? Pourquoi il ne croque pas dans un oeuf en chocolat ou d'autres choses délicieuses alors qu'il croque dans des galets en forme d'oeuf, des livres en carton et des couvercles ? Pourquoi ? Parce qu’il est atteint d’un syndrome génétique … parce que son corps ne produit pas des milliers de protéines qui sont à l’origine de milliers de fonctionnements « chimiques », nerveux, sensoriels, fonctionnels, relationnels etc. C’est hallucinant comme un microscopique bout de gène en moins peut engendrer autant de conséquences. Et j’ai beau savoir cela, je me demande chaque jour : Qu’est-ce que je fais mal ? Comment faire pour l’aider ? Existe t’il des méthodes thérapeutiques qui peuvent l’aider ? Et puis est-ce que ce que je fais est suffisant ? Est-ce que ça sert à quelque chose ? Ne suis-je pas là à brasser du vent alors qu’il ne peut pas plus ? Et comment savoir s’il peut plus ou pas ? Est-ce que quelque chose est possible même là où on me dit qu'il ne sera pas capable, que c'est impossible ?
Et pourtant, depuis quelques temps, j’ai compris que depuis qu’Angelo est né, nous avons fait beaucoup d’actions qui ont changé le court des choses. Si l’on n’était pas intervenu, si l'on n'avait pas remis notre confiance entre les mains des médecins (chose très difficile à faire au passage), Angelo ne serait plus de ce monde ou alors, s'il avait survécu malgré tout, son développement aurait été plus que catastrophique, il n’aurait pas cette énergie, cette joie de vivre et cette curiosité qu’il a aujourd’hui. Aujourd’hui, j’en suis certaine. Je commence à percevoir là où nos efforts ont été plus que nécessaires de là où ils n'ont peut-être pas servis.
Donc ça ne sert pas à rien tout ça. Et là est mon pouvoir, dans le courage et la persévérance. Même s’il n’y a pas de résultats maintenant. Parce que parfois, contre toute attente, un instant magique a lieu. Cet instant où tout à coup, Angelo s'agrippe au volant de la voiture et pousse sur ses deux petits pieds pour se redresser. Comme pour dire : « allons-y, moi je veux vivre, je veux grandir, je veux avancer, je veux découvrir le monde ». Cet instant où Angelo saute sur la nourriture et s’en met plein le bec. Cet instant où je découvre mon petit Angelo en train d'ouvrir et fermer une fermeture éclair alors que ça faisait des mois que je lui montrais en vain. Cet instant où tout à coup, Angelo prend le pinceau et se met à le faire glisser sur la feuille de papier alors que l’utilisation d’un « outil » semblait inaccessible pour lui jusqu'à cet instant. Mon dieu ! ça y est, la magie a eu lieu ... après tant et tant de répétitives stimulations psychomotrices et sensorielles ! C'est possible ! C'est fabuleux ! Euréka !


La prière de Marc Aurèle me donne des réponses.
Avoir la force de supporter ce sort douloureux. Le mot "supporter" est tellement juste car est-il possible de ne plus ressentir de douleur face à la maladie et les retards, les handicaps de son enfant ? Sûrement peut-on supporter la douleur, sans vouloir la supprimer, en étant réaliste face à la situation et c'est cela qu'on appelle "accepter".
Etre suffisamment sage pour repérer là où je peux aider Angelo de là où je ne peux pas. Ouhaa ! Comment distinguer cela ? C’est si difficile ! Je me demande si ça ne serait pas avancer à tâtons ? En fait, je ne peux pas être devin, je ne peux pas savoir d'avance si mon action peut changer les choses ou pas pour Angelo. Alors il me faut continuer d'essayer. Je pense que cette distinction, c'est plutôt être suffisamment réaliste pour fixer des objectifs réalisables, avancer pas à pas, être à l'écoute et avoir la lucidité/humilité/acceptation de ne pas s'obstiner et de s'arrêter là où on ne peut pas avancer, où ça bloque, où c’est épuisant. Et par contre, persévérer là où il y a une porte qui s’ouvre, là où il y a de la joie, du plaisir pour lui comme pour nous.
Et puis faire ce qu'il y a à faire pour lui, là où c'est possible, là où je peux, avec mes propres limites, mes propres capacités tout en ayant le courage d'accepter si je ne peux pas plus pour lui. Car ça fait aussi partie de son destin à lui.
Mais finalement, nous savons tous que parfois, il suffit d'un seul être humain aimant, bienveillant, qui croit en nous, qui nous prend dans ses bras ... un seul être, un seul geste, une seule parole ... et le court de notre vie peut basculer et notre coeur peut être à jamais porté. Voilà où est mon pouvoir le plus puissant. L'aimer, l'encourager, lui offrir des stimulations du mieux que je peux, le soigner du mieux que je peux tout en admettant que je n’ai pas de super pouvoirs. Oh oui, l'aimer, l'encourager et puis tout simplement rire avec lui…être fous ensemble. Et sauter de joie face à mon petit bonhomme qui se redresse, fier … laisser mon coeur faire la fête quand je le vois manger … et chanter « euréka » face à la la première peinture de mon petit Angelo ! Ce sont ses progrès, sa joie qui nourrissent notre force et notre courage.
Le « combat" est loin d’être fini et ne sera jamais fini pour lui. Alors que la force et le courage me soit donnée … de continuer et de répéter encore et encore malgré les échecs, malgré que ce soit très long, malgré la charge des soins au quotidien et l'épuisement qui en découle, malgré l'isolement social et l'avenir en berne, malgré les doutes et l’incertitude, malgré la douleur, malgré les difficultés d'interaction avec lui, malgré l’impossibilité de changer ce qui ne pourra pas être changé. Donnez moi la force d’avancer malgré un horizon peu prometteur en se focalisant sur ce qu'il y a de magnifique dans le présent ... donnez moi la lucidité de focaliser mon regard sur ses qualités, sur sa beauté, sur ses progrès, sur sa surprenante personnalité pour en faire le terreau de ma persévérance et de son épanouissement. Donnez moi la sagesse, la capacité d'accueil de ce qu'il est et le lâcher prise pour laisser Angelo illuminer par lui-même ce chemin et cet horizon.
Car qui sait ? On ne sait jamais ce que l’avenir nous réserve. Si l’on nous avait dit que nous aurions un enfant atteint d’un syndrome qui atteint 1 personne sur environ 7 millions d’individus, je n’y aurai jamais cru. Eh bien si, pourtant, ça a eu lieu. Cette rareté extrême nous prouve quelque part que tout est possible. Une perle rarissime est arrivée dans notre foyer … un petit être non ordinaire, qui semble étranger à notre monde humain, une âme d'une douceur si rare, un messager d'une autre réalité… il porte tellement bien son nom notre petit Angelo. Car savez-vous que étymologiquement, le mot "ange" veut dire "messager" ?
« Que la force me soit donnée de supporter ce qui ne peut être changé et le courage de changer ce qui peut l'être mais aussi la sagesse de distinguer l'un de l'autre. » Marc Aurèle

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