Il me faut continuer d'écrire ...

Publié le 18 août 2024 à 00:11

Plusieurs mois sont passés depuis ma dernière publication. Depuis un certain temps, j’aimerais vous écrire, vous donner des nouvelles mais je n’y arrive pas. Pas beaucoup le temps bien sûr mais pas vraiment l'élan non plus. J’ai beaucoup de choses à dire pourtant, beaucoup de choses à célébrer, beaucoup à pleurer aussi, à soigner, trop de choses à dénoncer…trop, beaucoup trop !

 

J’aimerais vous partager les progrès d’Angelo, les célébrer avec vous, à chaque instant. Car le moindre pas en avant est une fête sublime. J’aimerais vous dire à quel point Angelo fait exploser mon coeur … de tendresse, de beauté, de ravissement. J’aimerais vous dire à quel point je suis heureuse qu’Angelo ne se retrouve plus tous les 4 matins à l’hôpital et tellement soulagée qu’il ne vomisse plus à tout bout de champ. Mon dieu que c’est bon ! Quelle libération !

J’aimerais vous dire à quel point mon coeur sautille de joie de le voir rire, plein d’énergie, foufou, curieux, coquin parfois et de plus en plus dans la relation (à sa manière bien particulière bien sûr)… il a fait de grands pas ces derniers mois, c’est juste extra ! J’aimerais vous dire à quel point c’est bon qu’il dorme enfin si bien … j’ai récupéré un bout de mon cerveau.

J’aimerais vous partager aussi ce qui ne progresse pas ou si lentement, tout ce qui est décourageant et épuisant au quotidien, tout ce qu’il faut recommencer encore et encore plusieurs fois par jour pour si peu d’avancées. J’aimerais vous dire à quel point j’ai hâte qu’il marche à "deux pattes". A quel point j’aimerais l’entendre prononcer des mots. Tant de choses qui n’avancent pas ou si peu…sans être sûr qu’’il y arrivera un jour. C’est long, trop long !

J’aimerais vous raconter notre bataille chaque jour pour qu’Angelo ait envie de manger par la bouche et soit nourri par bouton de gastrostomie, comme c’est épuisant, stressant, fatiguant, tellement long sans savoir si un jour manger normalement sera possible pour lui.

J’aimerais vous partager toutes les difficultés que nous continuons à rencontrer, les claques que nous prenons en plein gueule, trop souvent.

 

J’aimerais vous décrire les lueurs qui s’élèvent dans nos cœurs, mais aussi toutes les déceptions, tous les deuils qui s’étalent sur la ligne du temps qui s’étire, s’étire.

J’aimerais vous raconter comme notre société n’est pas faite pour inclure les enfants handicapés, pas faite pour les enfants qui vivent à 4 pattes ou ne peuvent pas se servir de leurs pattes du tout, pour les enfants qui ne regardent pas dans les yeux ou carrément dans les nuages, pour les enfants qui ne savent pas imiter, qui n’acquièrent pas les codes de notre monde, pour les enfants branchés à des machines, pour les enfants qui se tapent la tête, pour les enfants qui ne parlent pas et qui ne communiquent pas comme les autres, pour les enfants ultra méga sensibles, pour les enfants « escargots » qui progressent lentement, très très lentement, pour les grands enfants qui portent des couches … pour les parents de ces enfants.

 

J’aimerais vous raconter tout pour que vous puissiez comprendre comment le fonctionnement de notre société et de beaucoup d’individus qui la composent malmènent la vie de ceux qui ont déjà la vie brisée. Je parle de tous ceux qui vivent des drames, de tous les handicapés et malades visibles ou invisibles, de tous les solitaires ou abandonnés parce qu’ils souffrent trop dans leur coeur ou dans leur corps, parce qu’ils sont trop différents, parce qu’ils dérangent, ne sont pas rentables, sont des "cas sociaux », ne sont pas propres, parce qu’ils ne pensent pas et ne raisonnent pas de la « bonne » manière, parce qu’ils sont gaga etc.

Mais j’aimerais aussi vous parler de ces personnes qui ont du coeur, qui se démènent pour nous et d’autres, qui sortent de leur zone de confort pour donner, aider, aimer et pour qui j’ai une profonde gratitude et admiration. Ils sont rares ! Ils sont précieux !

 

J’aimerais raconter la beauté de mon fils, tout ce qu’il déroute en moi et tout ce qu’il éveille en moi d’extraordinaire. J’aimerais vous conter la poésie de son langage, la danse de ses mains et le chant de sa joie.

J’aimerais vous raconter comme chaque jour, il nous fait chanter des sonorités d’Inde, de l’Europe de l’est ou de l’orient à tue tête accompagné de notre shruti box…pour entrer en transe. Il réclame la shruti box avec une telle "pétillance" dans ses yeux que nous ne pouvons résister à ses requêtes…la maisonnée entière finit à chaque fois en transe ! C’est extraordinaire !

J’aimerais vous décrire sa force, son courage, sa poésie, sa personnalité très originale, rigolote et attachante. Vous expliquer pourquoi je l’appelle « mon petit poèt-poèt » ou « mon Angelito mascarpone ».

 

J’aimerais vous raconter tant de choses. Et en même temps, depuis plusieurs mois, je manque de temps, d’élan, d’inspiration pour écrire tout ça ! Pour quoi faire? Qu’est-ce que ça va changer ? A ma vie, à celle d’Angelo, à la vie des autres ? Alors ça fait plusieurs mois que je n’ai pas écris. Découragée. Ras le bol. Fatiguée. J’essaye de m’y remettre avec ce texte. Ce texte est un exercice. Je vous préviens, vous êtes en train de lire un exercice de « remise en forme ». 

 

Bientôt, mon Angelo aura 3 ans. J’ai peur de cette date. Ça devrait être une fête. Ça me confronte trop, ça me met face à la dure réalité. Ça me met face à tout ce qui est fini à jamais, à tout ce qui ne sera plus jamais possible pour moi, à tout ce qui n’est pas possible et sûrement ne sera pas possible pour Angelo. Ça me met face à l’immobilité de ma vie face au temps qui avance…ça me met face à la lenteur de sa vie face au temps qui avance.

Alors que ça devrait être une fête, alors que nous devrions le voir dans deux semaines mettre pour la première fois les pieds à l’école, alors que nous devrions le voir de plus en plus autonome sur tous les plans, alors que nous devrions le voir courir, manger des frites et des glaces, nous raconter ses joies ou ses bobos, sauter à notre coup pour faire des bisous, comprendre des milliers de nouvelles choses chaque jour, alors que la vie devrait être une fête chaque jour de le voir progresser aussi vite, alors qu’il aurait dû me voir peindre et vendre mes tableaux dans ma boutique d’artiste, alors que nous aurions dû accompagner son Papa dans les stages de méditation et de yoga qu’il aurait donné dans les Pyrénées ou dans le désert Marocain, alors que nous devrions le voir jouer avec Tchenlou et Fergussonne (notre chien et notre chat), alors que nous devrions bientôt le voir souffler sur ses 3 bougies en attendant impatiemment ses cadeaux, alors que alors que ....des « alors que »….je pourrai en écrire des pages. Tous ces deuils que je n’arrive pas à faire ! Je suis coincée.

 

Coincée car chaque jour, c’est un deuil qui recommence, tout ce que nous croisons au quotidien réveille un nouveau deuil. C’est un « deuil perpétuel » qui ne s’arrête jamais d’être renouvelé. Je ne sais pas comment décrire cette forme de deuil si différent de celui de la perte d’un être cher. C’est difficile à expliquer. C’est particulier. Je vois bien que les autres ne comprennent pas quand j’essaye d’en parler. Chaque jour, nous nous rendons compte, de plus en plus durement de la réalité de l’ampleur des handicaps d’Angelo. En croisant d’autres enfants beaucoup plus jeunes que lui et qui savent faire tellement plus de choses qu’Angelo, qui sont tellement plus autonomes, aisés dans leur corps, leurs gestes et entrent en relation tellement plus facilement. ça nous effraye, ça réactive encore et encore les deuils, le sentiment d’impuissance, l’angoisse de l’avenir, le sentiment de mal faire, l’injustice. C’est aussi en croisant une Maman qui me dit joyeusement sur sa fille de 10 mois : « oh là là ! C’est extraordinaire, qu’est-ce qu’ils évoluent vite nos petits! ». Et une autre Maman qui me dit que son petit de 16 mois fait 11kg (le même poids qu’Angelo), mange goulûment, va à la crèche, que ça se passe super bien et qu’elle a repris son activité professionnelle depuis un an. C'est aussi en rencontrant l’institutrice de l’école avec qui nous passons 2h à "décortiquer" le "cas Angelo" et à prendre conscience ensemble qu’Angelo à l’école, même avec une AESH, ce ne sera pas du tout possible, pas adaptable.

 

J’aimerais vous expliquer pourquoi finalement nous n’avons pas encore de nounou à domicile pour Angelo mais c’est tellement compliqué que je vous soûlerais avec un texte à rallonge. J’aimerais vous expliquer en détail pourquoi Angelo ne pourra pas aller à l’école cette année (et sûrement aussi après, j’en sais rien, nous verrons bien) alors que nous y avons cru pendant quelque temps et que je suis en train encore de constituer un énième dossier pour demander l’autorisation d'IEF (instruction en famille) pour le moment et justifier pourquoi nous faisons ce choix alors qu’en fait, nous n’avons pas le choix. Mais pareil, ça serait un texte à rallonge.

 

J’aimerais vous raconter aussi notre chance et notre joie d’avoir pu acheter un camping-car il y a juste 3 semaines. Merci Mamie Lucette <3 ! Pour enfin pouvoir partir de la maison avec Angelo…même pour une journée, même pour aller faire un petit plongeon dans la rivière à 20 minutes de chez nous pour une après-midi, pour aller voir des amis et aussi pour s'évader un peu plus longtemps de la maison.

J’aimerais vous expliquer pourquoi sans ce camping-car, nous pouvons difficilement bouger de chez nous, même pour une après-midi. Ou alors, si nous le faisons, c’est la galère. Pour pleins de raisons. Parce qu’il y a des soins à faire, les alimentations par gastrostomie, une hygiène à respecter, beaucoup de matériel, les prises de repas par la bouche qui ne sont pas simples et très longs, les piqûres, les couches à changer, la sieste, le besoin de repli lorsque l’environnement est « too much » pour Angelo et encore pleins d'autres choses.

J’aimerais vous raconter comme cela nous sauve, comme cela éveille considérablement Angelo et rallume quelques étoiles dans nos coeurs. J'aimerais vous expliquer pourquoi c'est si important qu'Angelo voit le monde...parce que peut-être qu'un jour il ne pourra plus le voir. Alors ne perdons pas de temps.

J’espère que j’arriverai à vous raconter et à vous amener un peu avec nous dans nos aventures. 

 

J’aimerais vous raconter trop de choses….et en même temps, je me pose sans cesse cette question : est-ce vraiment utile ? Et à quoi bon ? Ça ne guérira pas mon fils, ça ne me donnera pas plus de temps et de répit, ça ne permettra pas que mon fils soit gardé et que je puisse reprendre mon activité artistique et professionnelle, ça ne changera pas le fonctionnement du monde, ça ne me rapportera pas d'argent, ça ne soutiendra pas concrètement des parents en détresse, d’autres enfants malades ou handicapés.

 

Mais en réalité, si je regarde les choses en face, si je lâche l’écriture, je perdrai le contact avec la partie vivante de mon être. J’ai besoin de créer, de poésie, de rêverie, j’ai besoin de plongeons en moi-même, j’ai besoin de sentir des idées danser en moi et faire leur chemin, j’ai besoin de dire, de nommer, de crier, de trouver en moi la plume et les armes. J’ai besoin de pousser les murs de l’obligation, de la vigilance, de la lassitude et de la fatigue pour me faire de la place… à moi-même, à ma vie intérieure. Ecrire me donne un espace à moi qu’il me manque trop, une liberté qui me manque, une estime de moi et une dignité que j’ai du mal à retrouver.

 

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Commentaires

Christine Cely-Soulier
il y a 9 mois

Merci pour ton texte si touchant, un texte qui me connecte à mon humanité, à mes fragilités, c'est une reliance passive et active qui me ramène pour un temps à l'essentiel et c'est précieux voire inestimable. Merci..., je vous embrasse.
Christine (ex marchon ;-)

Anne-Lise Hillairet
il y a 9 mois

Merci beaucoup pour ce texte. Je n'ai qu'une envie après lecture : rencontrer Angelo. Je me sens connectée à ce petit bout empêché et pourtant si vivant. Pardon si je suis maladroite dans mes mots d'avance. On ne se connaît pas, vous et moi, mais j'ai juste cette envie. Tendrement, Anne-Lise

Gilles
il y a 9 mois

Bonjour Delphine,
Tes textes sont un peu comme tes tableaux. Colorés, pleins de vie, forts de sentiments.
Bien-sûr que j'aimerais te lire pleine de joie, de bonheur et appaisée. Bien-sûr qu'il me serait facile de penser qu' Angelo à de la chance de vous avoir. Mais je lis toute la douleur et la détresse, toute la fatigue et le doute permanent.
Je ne peux que vous faire parvenir mes plus chaleureuses pensées. Que la vie vous apporte force, courage et détermination.
Que le meilleur soit l'avenir, que le bonheur soit votre présent.
Gilles

Jeannine
il y a 9 mois

Chère Delphine, Odile m'envoie ton texte si beau et si touchant. Je pense souvent à vous deux et à votre petit ange. Comme on aimerait l'aider et vous aider. On se sent impuissant devant les réalités de la vie... Je t'embrasse très, très fort.

Sorin
il y a 9 mois

Ce que je vois quand je regarde Angelo ce sont tes traits, ton sourire ! . Je comprends tellement Delphine sans vraiment avoir à vivre ce que tu vis. J’expérimente à ma toute toute petite échelle , avec mon grand qui a un TDA. Quand la maîtresse le compare, quand les autres le critiquent, quand les copains ne répondent pas à ses excentricités, ça creuse déjà une fausse dans mon cœur alors j’imagine … Tu parles à toute les mamans. C’est pire que si c’était nous car nous sommes tellement impuissant face à la vie qui exige d’eux, qui va vite, pas à leur rythme. Ton texte est si beau. Ça ne sert pas à rien. Tu portes quelque chose d’universel. Tu ne peint peut-être plus mais c’est très bien que tu continues à écrire. Tu as une si belle écriture.

Sylvie Dugoujon
il y a 9 mois

Bonjour, vous avez vraiment beaucoup de talent d’écriture, votre émotion, votre réalité se transmet. Je suis personnellement heureuse de vous lire, si je peux dire ça comme ça. J’ai beaucoup moins de talent que vous. La vie est parfois tellement difficile quand déjà « tout va bien ». Je pense à vous trois souvent. Je vous embrasse. Que dire…
Sylvie

Fabienne Tosi
il y a 9 mois

Bonjour Delphine,
Je pensais justement à vous ces jours-ci.
Si, cela sert à quelque chose que vous nous livriez ce que vous vivez et que vous nous fassiez part de ce que vous ressentez.
Je rentre d'une retraite de rosaces sacrées à Flores del Camino, endroit chez à votre coeur.
Nous avions chaque jour un "sharing circle" et finissions souvent par quelques mots prononcés ensemble avec lesquels nous réitérions notre attachement et soutien à notre "communitas".
Avec vous, nous formons une "communitas" et si nous ne pouvons malheureusement pas vous apporter de soutien tangible et concret dans votre vie quotidienne avec Angelo, nous sommes là pour vous entendre et vous écouter. Et pour accueillir ce que vous nous faites la confiance de nous dévoiler. Immenses pensées pour vous, pour Angelo et pour votre compagnon.

Marie France ZANETTE
il y a 8 mois

Continues à écrire ✍️ quand tu en ressens le besoin. Je suis bien placée pour savoir ce que tu décris. Tu es une maman formidable et Angelo avec ses différences te rends plus forte. Je t'embrasse très fort. Gros gros bisous à Angelo.

anila Trinlé
il y a 6 mois

Je viens de te lire et d'être témoin de ta souffrance, de votre souffrance, je ne sais si je peux être d'un quelconque soutien, mais si tu le souhaites, n'hésite pas à me contacter. Trinlé

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