Un être non ordinaire

Publié le 13 septembre 2023 à 22:44

La vie m’a confiée un être hors du commun. Un être non ordinaire, handicapé, malade, hors de la norme, extra-ordinaire, a-normal. Comment puis-je accueillir cet être de façon sereine? Dés le départ, il est considéré comme pas normal, une rature de la nature, comme s’il n’aurait pas dû exister.

D’ailleurs, quand les généticiens nous parlent d’un éventuel second enfant, ils nous disent que l’on pratiquera une amniocentèse pour savoir si le second aura le même syndrome. Ainsi, s’il en est atteint, je pourrai avorter. Ils ne laissent même pas la place à la possibilité de garder un enfant atteint du syndrome. Bien sûr, moi la première, je n’ai pas envie d’avoir un second enfant avec autant de problèmes car c’est éreintant et douloureux mais quand même, c’est questionnant. Si j'avais ce choix à faire, ce serait extrêmement déstabilisant. Cela voudrait dire que si j'avais su pour Angelo, je ne l'aurais pas laisser grandir dans mon ventre. Quand on voit aujourd'hui ce qu'il devient, l'être adorable et merveilleux qu'il est ! Et puis s'il arrivait que je sois enceinte et qu'on apprenne que le bébé est atteint du même syndrome qu'Angelo, comment je lui expliquerais les choses? Je lui dirai : "Angelo, ton petit frère ou ta petite soeur dans mon ventre est atteint du même syndrome que toi alors on le tue, on ne veut pas le laisser vivre." Vous imaginez ? C'est horrible ! Qu'est-ce qu'il va en comprendre lui ? 

Si Angelo est né, c’est qu’il pouvait vivre et que la nature a voulu qu’il arrive au monde. Certes, la suite a été compliquée et aurait-il survécu sans l’intervention de la médecine ? Peut-être pas. Ou alors il aurait survécu avec des conséquences bien plus graves que celles actuellement. Mais n'empêche qu'aujourd'hui, il est là, lumineux, pétillant, heureux de vivre, d'une force incroyable par tout ce qu'il traverse. Certes avec un gros lot de difficultés et de souffrances mais quand même, ça vaut le coup, n'est-ce pas ? 

 

Aujourd’hui, il m’a été confié de prendre soin de cet petit être complètement en dehors de ce que l’on considère comme un enfant valide. Qu’est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire que dès sa naissance, il est catégorisé. Comme nous a dit le généticien le jour de l’annonce du diagnostic : « votre enfant ne pourra pas lire à cause de sa vue défaillante et/ou de son retard mental et ne pourra pas apprendre le braille à cause de son retard mental…vous pouvez dès maintenant chercher une place en IME (école pour les enfants ayant de gros retards mentaux) pour lui car les places sont chères. » Je vous laisse imaginer le reste de l’annonce du diagnostic (voir article "Annonce du diagnostic" du 20 septembre 2022).

Dur dur de porter une vision positive et optimiste sur son enfant quand on nous présente d’avance qu’il sera incapable de beaucoup beaucoup de choses. Sera t’il vraiment incapable ? Et même s’il est incapable de ceci ou cela, sûrement sera t’il quand même capable de bien d’autres choses. Sûrement à des endroits complètement différents de là où on l'attend.

Dur dur de sortir de cette vision quand on a été élevé dans une société où le handicap, c’est la merde, on n’en veut pas, ça dérange, ça demande des efforts, des concessions, des adaptations aux « valides », où le handicap n’est pas la vision heureuse d’une vie, est un territoire inconnu qui fait peur et où l’impuissance est aux premières loges. Dur dur de sortir de cette vision où le retard psychomoteur, mental est un problème dans un monde qui fait l’hégémonie de l’individualisme et de l’intelligence, où il ne faut dépendre de personne.

 

Aujourd’hui, je me rend compte que cette situation me pousse à bout. A bout de mes forces, de mon énergie mais aussi à bout de ma vision de la vie, de mes croyances et me confronte à mes limites. Cette limite du regard que je porte sur mon propre fils qu’on me présente comme un "raté de la nature". J’aimerais changer complètement mon regard sur lui, complètement renverser cette vision, lui faire même un pied de nez en montrant au monde que mon enfant, il est un être humain très différent des autres mais qu'en fait, c'est ça qui est tellement beau ! Je veux oublier tout ce que l’on m’a dit à propos du handicap, tout ce qu’on m’a inculqué sur la dépendance, l’anormalité, la bizarrerie, les ratures génétiques. Oublier tout ce qu’on m’a dit sur Angelo depuis qu’il est né, le regarder juste tel qu’il est, entrer dans son mode d’être au monde. Et peut-être ne pas chercher à tout prix qu’il devienne complètement indépendant. Bien sûr que je veux lui donner le maximum pour qu'il soit indépendant du mieux possible à l'âge adulte. Mais au fond, y a t’il du mal à être dépendant les uns des autres et que certains le soient plus que d'autres ? Car finalement, c’est ce que nous sommes tous, n'est-ce pas ? 

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