Spectacle "Rêves" et la traversée des épreuves qui brisent nos rêves

Publié le 24 janvier 2024 à 22:38

J’ai vu un spectacle récemment qui s’appelait « Rêves ». Une compagnie de cirque Ukrainienne "Inschi" composée de 6 hommes. C’était magnifique. ça parlait de combats face à l'adversité, à l'épreuve, aux drames qui  détruisent nos rêves ou alors font entravent à la réalisation de nos rêves. 

Et dans l’une des scènes de ce spectacle : un clown, candide finit par devenir un soldat face à la guerre. Alors il se bat contre ses ennemis, se défend, y met toute son énergie, sa rage. Puis finalement, les ennemis partent. Mais ce soldat continue à se battre, dans le vent, avec les nuages…pendant longtemps, longtemps. Il se débat et combat des fantômes. Puis lentement, il regarde autour de lui avec méfiance et se rend compte qu’il n’y a plus personne. Il ralenti alors ses mouvements, baisse les armes peu à peu. Il s’arrête, s’allonge et se repose pendant de longues minutes. Enfin, il cueille une rose à côté de lui, la sent et la dépose sur son coeur.

 

Voilà ce que l’on ne sait pas faire dans notre monde après un combat intense quel qu’il soit : accepter qu’il y a une phase où l’on continue de se battre car après des années de combat, il faut beaucoup de temps pour décharger la tonne de stress, de chocs, de traumas accumulés, il faut beaucoup de temps pour intégrer ce qu’il s’est passé, pour réaliser qu’il n’y a plus d’ennemis ou alors qu'ils sont beaucoup moins nombreux ou moins menaçants, qu’on peut baisser les armes. Car quand on est en mode urgence tout le temps, c’est après coup qu’on prend conscience du combat qu’on vient de traverser, du drame qui vient d’avoir lieu, qu’on réalise les dégâts causés et qu’on encaisse la douleur. Et seulement après cela, il faut du temps pour se dire : « ah et bien maintenant que l’ouragan est passé et qu’il commence à y avoir quelques rayons de soleil, peut-être que je pourrai m’allonger un peu et me reposer. Et alors peut-être qu’après je pourrai recommencer à cueillir la vie, à sentir la vie, à m’émerveiller et enfin à agir. »

Bien sûr, je me suis vue dans cette scène et j’ai pleuré à chaudes larmes car j’ai réalisé que l’urgence de la situation était passée pour Angelo mais que je continuais de me débattre. Bien sûr, pour nous, rien de fini vraiment, le combat continue pour Angelo et ce sera ainsi pour toute sa vie mais l’urgence vitale est derrière nous maintenant et des rayons de soleil commencent à pointer. Le quotidien reste éprouvant mais maintenant il y a des espaces de douceurs, de clarté, de joie et aussi des espaces pour être avec moi-même.

 

Dans notre monde, je sens très fortement que dès qu’on a un petit peu de temps pour soi et que les choses s’apaisent un peu, il faudrait immédiatement s’activer, travailler, être créatif, agir, faire quelque chose de magnifique de cette épreuve. Oh là là ! Quelle violence !

Comme demander à une Maman qui vient d’avoir un bébé de reprendre son travail aux 3 mois de son petit. Même pour un enfant en bonne santé, je trouve vraiment violent d’imposer cela à toutes les femmes. Mettre au monde un bébé et prendre soin de lui est l’épreuve la plus intense et bouleversante physiquement et moralement pour une femme et tout le monde s’en fout, la femme doit être opérationnelle, 3 mois après, fraîche, prête à bondir dans le monde, à agir, tel un soldat. Mon dieu ! En suède, le congé maternité est d’un an avec un maintien de salaire vraiment honorable. Le congé paternité est de 6 mois. Je trouve cela déjà bien plus ajusté à la réalité même si, au fond, la réalité de chacun est toujours très différente.

 

 

Bref, en tout cas, dans mon expérience qui est encore différente puisqu’il s’agit de prendre soin d’un bébé atteint d’une maladie incurable et entraînant de forts handicaps, je ressens toute cette violence du monde qui veut que je sois maintenant de nouveau joyeuse, que j’aille travailler, agir dans le monde, être créative puisque mon métier part de ma créativité. Que dalle ! J’ai besoin de repos et de digérer, d’intégrer. Parce que sinon, j’appelle cela du déni, de l’aveuglement, du faire semblant, de la mal-traitance envers moi-même.

On s’étonne que tant de gens soient en dépression, dans un gros mal-être … eh bien, pour moi, il ne faut pas chercher plus loin. Nous grillons trop vite les étapes de l’intégration des épreuves de la vie, nous nous accordons jamais de pauses pour digérer ce que nous vivons, pour laisser les choses décanter pour y voir plus clair et nous nous mettons tous les uns les autres une pression monstre.

Perso, bien sûr que j’aimerais reprendre mon activité professionnelle. Mon métier était ma passion, mon bonheur. Dessiner, peindre, créer était mon temps de ressourcement. Mon travail me comblait au plus haut point. Et en plus, j'obtenais des revenus certes modestes mais suffisants pour mon mode de vie. Je rêvais d’amener mon fils dans ma boutique d’artiste et de dessiner et peindre avec lui. Je n'ai  pas arrêté mon travail par plaisir, par commodités, loin de là. Et si je n’arrive pas pour le moment à reprendre ce travail, c’est que je n'en ai pas les capacités morales et temporelles, un point c’est tout. Parce que je suis encore trop dans les soucis, parce que j’ai encore trop de choses à gérer pour Angelo, trop peu de temps pour moi et aussi parce que je suis épuisée et assommée encore par tout ce qu’on vient de vivre en deux ans, le corps bourré de stress, le coeur meurtri de douleur. Alors j’ai besoin de m’allonger et de me reposer. Sachant que cela reste une image car la réalité est que la nuit, Angelo est bien trop souvent agité pour que je me repose réellement. Alors la journée, quand Angelo est gardé, je m'accorde certes un temps de sieste pour récupérer de la courte nuit et surtout, je me repose mentalement, ce qui est déjà énorme.

Et beaucoup beaucoup beaucoup de gens auraient bien besoin de s’allonger et de se reposer. J’ai la chance de pouvoir le faire dans mon temps libre. Je sais que beaucoup sont dans un engrenage, dans des responsabilités qui leur interdit cela. Mais le monde, le système devrait leur permettre, offrir cela pour que nous soyons tous en meilleure santé et que nous apportions du bien au monde. Mais bon, là, je pars dans une utopie et on va me traiter de rêveuse, de complètement déconnectée de la réalité.

En tout cas, moi, j’ai besoin de ce repos et j’apprends à me sentir légitime de me l’accorder. Sachant que le repos que je m'accorde est encore très peu au milieu de tout ce qu'il faut gérer pour Angelo : déjà parce que c'est un enfant en bas âge, ensuite parce que sa santé demande un travail à plein temps et enfin parce qu'Angelo est gardé depuis peu et est loin d'être gardé à plein temps. Et je sais qu’un jour, de ce repos que je m'accorde peu à peu et de cette intégration que je m'octroie en écrivant ce blog, débouchera le besoin de sentir et de cueillir la vie puis le besoin d’agir, de créer et de travailler pour moi, pour ma famille, pour le monde. D’ailleurs, j’ai bien l’impression que tout ça se construit ensemble, parallèlement. 

 

Ce spectacle était composé de 6 scènes différentes, toutes aussi fortes les unes que les autres….elles parlaient de rêves, de pertes, de douleurs, de découragement, de renouveau, de mort, de résilience, de repos. Elles parlaient de combats, de confrontations, d’entraide, de soutien, d’empathie, de rejet, de ne pas vouloir voir, d’accueil, de dire au revoir, d’amour. Qu’est-ce que j’ai pleuré! Nous sentions dans ces 6 jeunes hommes prodiges la gravité de leurs vécus, de leur expérience, de ce qu’ils ont perdu et de toute l’énergie de résilience qu’ils y ont mis.

 

Cette scène m’a parlé, comme tout le spectacle tout entier car il venait mettre en mouvement, en image, en émotion ce processus que nous vivons et qu’il est dur de vivre pleinement, sans en sauter des étapes trop vite.

 

Photos trouvées sur internet de la compagnie Inshi

 

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